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Shawinigan prend le virage 2.0

Crédit photo : Sylviane Robini

Comment sortir votre ville de sa torpeur économique? En changeant sa culture et en misant résolument sur l’entrepreneuriat.

Durant la première moitié du XXe siècle, Shawinigan était la ville la plus prospère au pays. Elle abritait plusieurs grands joueurs industriels, car la ville disposait de plusieurs centrales hydroélectriques, dont les premières avaient été aménagées en 1898. Des industries comme l’aluminium, la pétrochimie et les pâtes et papiers y ont enrichi des générations de travailleurs. La Shawinigan Water and Power Company est d’ailleurs une des sociétés qui furent nationalisées par René Lévesque, pour former l’Hydro Québec qui a fait la fierté de la Révolution tranquille.

Puis, au tournant du siècle, c’est le déclin. Comme bien des villes industrielles de l’est du continent, les usines ferment les unes après les autres. Rien qu’en 2014, deux papetières et une aluminerie plient bagage. La ville perd 1500 emplois et 3,5 millions (M)$ en taxes. C’est la crise.

En novembre 2009, le jour de ses 50 ans, Michel Angers, ancien organisateur de la CSN et ex-travailleur de l’Alcan, emporte la mairie devant l’ex-ministre péquiste et candidat vedette Guy Duhaime. Mais il hérite d’une ville en lambeaux et d’une mairie en proie aux chicanes politiques. Élu sans étiquette politique, il restaure rapidement l’harmonie au conseil. Mais le virage le plus surprenant de la part d’un ancien syndicaliste est à venir : il entend implanter une culture de l’entrepreneuriat à Shawinigan, pour remodeler et relancer l’économie locale. Dix ans plus tard, tout le monde s’entend pour dire que c’est une réussite.

M. Angers illustre le chemin parcouru dans le cadre du dernier Rendez-Vous du Réseau M, le 19 novembre dernier, à l’Hôtel Bonaventure, à Montréal, où il était conférencier.

 

Virage à 180 degrés

« On a rapidement tenu un forum de développement économique, qui a abouti sur un plan de développement sur quatre ans, qui comportait une centaine d’actions, explique-t-il. On s’est mesurés avec l’aide de la Fondation de l’entrepreneurship. On avait une culture économique qui était avant tout industrielle : en d’autres mots, on avait une mentalité de boîtes à lunch. L’étude a rapidement illustré nos faiblesses : nous étions médiocres en termes de création d’entreprises. Il fallait changer ça. On s’est dotés d’objectifs précis de développement de l’entrepreneuriat, et on allait implanter cette culture, du CPE à l’université! »

Quatre ans plus tard, dans un contexte électoral, Shawinigan tient un second forum de développement. L’équipe du maire dresse un portrait sans complaisance du chemin parcouru et de la situation économique encore très difficile. La Ville vote alors un deuxième plan de développement de quatre ans. « Je dirais que 98% des gens appuient aujourd’hui notre démarche, reprend le maire. En huit ans, on a complètement viré de bord les mentalités citoyennes sur le sujet. On a sans cesse martelé notre message : on croyait en notre stratégie. »

 Et quelle est cette stratégie? En son cœur, l’aménagement d’un immense centre entrepreneurial dans une ancienne cotonnerie érigée en 1914, désaffectée depuis une trentaine d’années, le Centre d’entrepreneuriat Alphonse-Desjardins Shawinigan (CEADS), qui compte 140 000 pieds carrés sur deux étages! Aujourd’hui, la bâtisse de l’avenue de la Station est pleine. Mais au départ, il fallait vendre le concept.

Le centre offre de l’accompagnement aux jeunes entrepreneurs qui s’y installent, tel un véritable incubateur; notamment une formation de 350 heures, ainsi que du mentorat pour entrepreneurs. La Ville assume les frais de fonctionnement. « Quand on visite les lieux, on s’y sent comme chez Google, reprend le maire Angers. Le deuxième étage est entièrement voué à l’économie numérique. Nos locataires paient un prix dérisoire, 6$ le pied carré. Tous les services sont inclus. »

Au départ, Ubisoft devait y occuper 15 000 pieds carrés, mais elle a préféré s’installer ailleurs. Les services en TI de Desjardins ont repris cet espace. Le deuxième étage abrite un DigiHub, fréquemment visité par des groupes d’élèves du secondaire. Plusieurs sont séduits et veulent y travailler à la fin de leurs études. Une microbrasserie, le Trou du Diable, occupe la moitié du rez-de-chaussée. Entre 250 et 350 personnes travaillent dans l’édifice, dans une ambiance de coworking.

« Les retombées économiques du projet se font désormais sentir dans la région : un certain roulement s’est installé chez les entreprises qui ont séjourné dans le CEADS, explique le maire. Environ 250 à 260 emplois ont été créés depuis le lancement du centre. Le département d’informatique du cégep était sur le point de fermer en 2014. Il déborde aujourd’hui. On connaît une situation de plein emploi dans le secteur techno. On a eu la visite de plusieurs délégations, notamment de France et du Japon. »

Le maire réfléchit désormais à la prochaine étape, qui passe par un agrandissement éventuel du CEADS.

 

Le mentorat au cœur de la stratégie

« On mesure chaque année les progrès accomplis, notamment le taux d’entrepreneuriat, même en classe, révèle le maire. On mesure tout : le taux de rétention, de création et de fermetures d’entreprises, de création d’emplois… On a constaté qu’un jeune qui a des parents entrepreneurs a toutes les chances de se lancer lui aussi en affaires. On enseigne notamment des notions parfois controversées, comme l’échec, qui fait partie de la réalité du monde des affaires. On a un bon système d’accompagnement. Certains accompagnateurs font partie des premières cohortes qui ont séjourné dans notre centre, il y a une décennie. »

Le CEADS offre notamment un programme de mentorat pour entrepreneurs : il figure au centre de la stratégie d’accompagnement des jeunes entrepreneurs. Des dizaines y participent. « On a créé une cellule de mentorat et on insiste, dans nos communications, sur le fait que les entreprises dont les dirigeants bénéficient du mentorat ont quatre fois plus de chance de réussir que celles où le mentorat n’est pas présent, reprend le maire. On fait en sorte que chaque entrepreneur qui séjourne dans notre incubateur est accompagné par une femme ou un homme d’affaires établi. On tient aussi un concours annuel, Dans l’œil du mentor, dont les juges sont formés par une équipe de mentors : cette activité d’un jour est très populaire. »

 

Un retournement

Shawinigan, comme bien des villes en région, subit le vieillissement accéléré de sa population. Malgré tout, l’économie n’en souffre guère.

« En théorie, notre population aurait dû décroître de manière accélérée, explique le maire. Nous étions 53 000 en 2002. Les prévisions allaient dans le sens de 47 000 habitants, mais ça s’est stabilisé autour de 49 000. Beaucoup de jeunes familles s’installent chez nous à cause de la qualité de vie (le parc national de la Mauricie est tout près), du prix des maisons moins élevé qu’ailleurs et des emplois disponibles. On a désormais 5% de chômage : Shawinigan est en situation de plein emploi. »

On peut donc constater que, sur le plan économique, Michel Angers a remporté son pari : de ville quasi sinistrée, la ville est désormais un modèle de développement.

 

Une collaboration de Stéphane Desjardins. 

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